
Critique de Le Conte de la Princesse Kaguya d’Isao Takahata
Le dernier né des studios Ghibli
2014 sera l’année du chant du cygne pour deux légendes du film d’animation. Hayao Miyazaki tirait sa révérence avec son Le Vent se lève. C’est maintenant au tour d’Isao Takahata d’en faire de même avec ce nouveau film. Une bien triste année pour tous les amateurs du studio Ghibli.
Le Conte de la Princesse Kaguya est réalisé par Isao Takahata, distribué par Disney et sort aujourd’hui, le 25 juin 2014, en salle.
Résumé de Le Conte de la Princesse Kaguya
Synopsis :
Ce long métrage est l’adaptation d’un conte populaire japonais « Le coupeur de bambou », un des textes fondateurs de la littérature japonaise dans lequel une minuscule princesse, Kaguya, « la princesse lumineuse », est découverte dans la tige d’un bambou. Elle devient très vite une magnifique jeune femme que les plus grands princes convoitent : ceux-ci vont devoir relever d’impossibles défis dans l’espoir d’obtenir sa main. Il s’agit là du 5ème long métrage d’Isao Takahata, 14 ans après son dernier film Mes Voisins les Yamadas. Pour ce film, Isao Takahata a privilégié une esthétique singulière, les personnages dessinés au fusain évoluant dans des décors au fini d’aquarelle.
Un long-métrage au fusain
14 ans, c’est le temps qu’il aura fallu pour voir le nom d’Isao Takahata de nouveau crédité à un générique. Après mes Voisins les Yamada, le virtuose revient avec une production Ghibli, tirée d’un célèbre conte japonais : Le Conte du coupeur de bambou (Taketori monogatari en VO) ou bien Le Contre de la Princesse Kaguya (Kaguya-hime no monogatari).
A priori, Takahata reprend assez fidèlement ce conte avec la découverte d’une petite fille minuscule, nichée au sein d’un bambou, par un vieil homme. Cette dernière grandit à vu d’oeil et cela commence à se remarquer. Mais son père et sa mère adoptive vont décider de lui faire changer de vie, le jour où, le coupeur de bambou va découvrir une pépite d’or, puis une autre. Toute la famille s’installe donc dans la capitale avec pour objectif que Kaguya devienne princesse et que les postulants de haute extraction se bousculent devant sa porte.
Du fait de l’ancienneté du texte originel (daté aux environs du 10ème siècle), de la fidélité de l’adaptation et de son encrage dans une culture très japonaise, c’est un film, certes magnifique, mais pas forcément très accessible. Evidemment, il faut avoir une sensibilité envers la culture traditionnelle japonaise et/ ou être admirateurs des films Ghibli. Ce sentiment est encore renforcé par l’exigence graphique, s’éloignant bien des standards occidentaux ordinaires.
En effet, le film est dessiné essentiellement au fusain, agrémenté d’aquarelles pour la couleur, conférant au film une esthétique épurée, légère et très proche de l’art japonais traditionnel. Du fait de la technique utilisée, le trait est parfois irrégulier mais c’est ça qui donne le charme à ce film. Il respire la recherche de la créativité et d’une certaine philosophie de réalisation. Mais le pendant de cela c’est que ça divisera et renforcera le sentiment d’élitisme.
Graphiquement, certains charadesigns pourront surprendre. Même si j’aime la patte Ghibli (qui vaut surtout pour Hayao Miyazaki), j’ai eu plus de mal avec certains personnages de ce Conte de la Princesse Kaguya, même si l’héroïne est attachante et très expressive.
Isao Takahata propose également quelques scènes à l’esthétisme soigné, avec une prise de risque graphique (comme lors de la scène de fuite), ou alors une poésie envoûtante qui se dégage comme certaines scènes mettant en scène la nature ou la floraison des cerisiers.
Le scénario reprend donc l’histoire du conte, mais il le fait terriblement bien. Les différentes étapes de la vie de Kaguya sont bien marquées : son enfance insouciante, sa vie de princesse, sa construction personnelle, et enfin l’acceptation de ses origines. Toutes ces phases sont bien présentées, avec l’onirisme propre à Takahata et sa faculté à s’attarder sur des choses anodines mais qui enchantent le spectateur. Malheureusement, cela entraîne parfois quelques longueurs notamment lors des passages pour devenir princesse.
L’histoire est toujours aussi puissante dans ses thèmes forts comme l’émancipation, la recherche des ses origines, sa place en société et une certaine réflexion sur la destinée. En parallèle de tout ça , il y aussi une véritable interrogation sur ce qu’implique d’être parent et la projection de la vie idéale pour son enfant. Des thèmes vieux comme le monde, mais jamais simplistes.
Sa profondeur est universel mais en même temps complètement ancrée dans une culture japonaise, voir même dans une conception de l’objet cinématographique très orientale, comme cette lenteur contemplative, cette faculté à mélanger humour, petits moments de vie et émotions fortes.
Petit bémol pour moi c’est le peu d’importance accordé aux prétendants de hauts rangs et de leur tache impossible. Il me semblait que c’était central dans le conte, et ici ça l’est beaucoup moins.
Pour conclure, Le Conte de la Princesse Kaguya d’Isao Takahata est un ravissement pour tout amateur d’animation japonaise. Car malheureusement, malgré tout le génie de Takahata, toute l’excellence de ce film, j’ai peur qu’il ne trouve pas son public. Il est exigeant et il ne peut se faire apprécier que par des personnes adeptes de ce types de films.
Même si Isao Takahata diffère sensiblement de Miyazaki, ils ont beaucoup en commun : cette exigence artistique et graphique, cet amour pour les choses simples, pour la nature, et cette faculté à nous transporter dans un monde que peu de réalisateurs peuvent se targuer de savoir faire.
Ce conte de la Princesse Kaguya est une expérience unique avec son graphisme hors-norme, aussi beau que déstabilisant. Mais c’est surtout un oeuvre intemporelle, magnifiquement réalisée, avec des thèmes profonds et universels, le tout baigné dans une culture nipponne magnifiée. A noter aussi, la superbe musique, orchestrée par le génial Joe Hisaishi.
Pour son ultime oeuvre, Isao Takahata nous rappelle encore une fois, si c’était bien nécessaire de le faire, que c’est lui aussi un génie de l’animation et qu’il n’usurpe pas sa place aux côtés de Miyazaki !
Pensez-vous aller voir ce film ? Accrochez-vous à l’ambiance graphique ?